Je suis diplômé de l’école de kinésithérapie d’Orléans en 2011 puis je suis parti travailler en libéral à Montpellier en remplacement et c’est à ce moment que je me suis dit que ça me tentait bien de faire un master. En effet, étant étudiant j’ai été investi à la FNEK et ça m’intéressait de mieux comprendre les enjeux de manière générale du système de santé et c’est pour ça que je me suis plutôt orienté vers un master de santé publique à l’université de Montpellier, mais qui était axé politiques de santé donc ce n’était pas un master de recherche a proprement parlé, plutôt professionnalisant.
Initialement, je ne me destinais pas du tout à la recherche et à la suite de ce master, je suis revenu à Paris, j’ai travaillé en libéral et j’ai eu la possibilité de participer à quelques projets de recherche avec un hôpital à Paris et d’avoir une mission à la Haute Autorité de Santé (HAS) de rédaction de recommandation de pratiques cliniques qui m’ont donné envie de plus me consacrer à la production de connaissances pour mettre en avant l’efficacité de nos techniques, l’intérêt de notre rôle dans le parcours de soins, etc…
La santé publique et particulièrement la recherche en santé publique m’intéressait donc beaucoup car en plus il y a une visée politique en montrant avec la science quel est le rôle et l’impact d’une intervention ou l’action d’un professionnel. J’ai donc candidaté à un doctorat de santé publique qui était rattaché à la faculté de médecine de Paris Diderot et l’unité de recherche qui pouvait me proposer une activité de recherche directement c’est une unité de recherche de l’INSERM. A Paris, il n’y a que deux unités qui travaillent sur des projets de recherche en santé publique et une plutôt sur des projets d’évaluation de parcours de soins.
J’ai mis un an à faire mon dossier le temps de savoir si je pouvais rentrer en doctorat alors que j’avais eu un temps d’exercice professionnel entre le master et le doctorat et finalement, je suis rentré en doctorat en 2018 avec un sujet portant sur l’évaluation de nouveau parcours de soins qui intègrent l’accès direct à la kinésithérapie, soit en soins primaires donc avec des patients qui viennent consulter directement un kiné en ville, soit des patients qui consultent aux urgences à l’hôpital.
Ce à quoi cela m’a vraiment servi, vu que le master était orienté sur la compréhension de l’environnent dans lequel on est en tant que professionnel de santé, c’était de comprendre l’organisation des professionnels de santé et du système de santé d’un point de vue juridique, d’un point de vue économique, les enjeux sanitaires via les plans de santé publique, etc.
D’un point de vue très pratique c’était de comprendre les enjeux autour des réseaux de soins, autour des maisons de santé pluriprofessionnelles, autour de l’organisation de la santé dans un territoire donné, ce qui peut aider si on veut en tant que professionnel diversifier ses activités après.
Et ensuite de manière plus globale ça permettait avant tout, non pas qu’en kinésithérapie, de participer à des projets d’envergure plus nationale, au travers d’un investissement à l’Ordre des kinésithérapeutes, dans des syndicats, des associations scientifiques, etc.
Donc il n’y avait pas un enjeu pratique directement en tant que tel puisque ce n’était pas de la pratique en kinésithérapie, au sens propre du terme, mais par contre ça permettait d’avoir une vision plus globale pour diversifier son activité, comment comprendre les futurs enjeux d’un système de santé et de pourvoir proposer des projets qui peuvent être innovants et répondre à ces enjeux-là.
2/3 étaient des étudiants purement juridiques, donc il venait d’un parcours licence/master de droit et ensuite 1/3 de professionnels de santé avec des pharmaciens, des sages-femmes et des médecins.
Oui en fait c’était une spécialité du master, il y avait une spécialité droit de la santé et une autre, dans laquelle j’étais, portant sur les politiques publiques de santé.
Ça s’est fait par opportunité, entre mon master et mon doctorat j’ai eu l’opportunité de rencontrer lors de plusieurs congrès de la WCPT des chercheurs axés sur la santé publique dont François Desmeules, qui est canadien et qui publie beaucoup dans ce domaine-là et je lui avais dit que j’avais un projet de doctorat et il m’a dit qu’il était partant pour me co-encadrer. Il savait qu’il y avait des enjeux sur ce sujet en France même s’il n’y avait pas du tout de recherche qui était faite à ce moment-là.
Il fallait en revanche bien sûr que je trouve une unité de recherche qui acceptait de travailler sur cette thématique et donc je suis passé par des connaissances que j’avais dans un hôpital parisien, différents chefs de service qui voulaient bien m’aider à trouver un directeur ou une directrice de thèse et en fait il y a une unité de recherche qui travaille sur les évaluations de parcours de soins à Paris et qui a été finalement très intéressé pour travailler sur ce sujet-là avec moi. A la suite de cela, une médecin de santé publique française a accepté de me co-encadrer avec François Desmeules au Canada pour me permettre de réaliser ce doctorat.
Donc oui il y a eu un côté opportunité du fait que ça passe par des rencontres qui te donnent des idées, qui te permettent de comprendre la faisabilité du projet car au final sans François je n’aurais pas eu l’expertise « accès direct kiné » du fait que ma directrice de thèse elle est calée sur la méthodo, sur l’évaluation des parcours de soins, mais elle connait moins l’accès direct pour les kinésithérapeutes, donc la combinaison des deux fait que c’est complet.
En fait, ce que juge d’un point de vue qualitatif l’école doctorale c’est la pertinence du projet, s’il voit que ton projet est bien abouti, que tu as déjà bien étudié la littérature, que tu proposes des questions de recherche pertinentes et validées par ton directeur de thèse ça renforce grandement la qualité de ton dossier. Ensuite, oui il faut quand même répondre à un minimum d’exigence administrative donc avoir un Master 2, que ce soit un Master qui apporte un minimum de compétences en recherche mais après si tu n’as pas la totalité des compétences, ils acceptent que tu puisses, dans un second temps, compléter par un engagement de ta part à compenser ces compétences pendant ta première année de thèse.
Non ce n’est pas classique. En fait, le raisonnement à avoir c’est de se dire « Est-ce que le sujet que je veux traiter implique deux domaines différents de recherche ? » Moi c’était à cheval entre la santé publique, comme discipline, et la kinésithérapie, donc je me suis dit que vu qu’en France il n’y a pas de chercheur qui travaille sur ce sujet il me fallait deux encadrants.
Et au niveau administratif, il y a deux possibilités, le co-encadrement ou la co-tutelle :
- La co-tutelle implique que tu vas passer ta soutenance dans les deux universités, donc que tu auras un double diplôme, les deux universités passent un accord pour te délivrer un double doctorat. Tu es affilié à une université sur les deux mais tu as l’obligation d’aller au moins classiquement 3 mois par an dans une équipe de recherche au sein de l’autre université pour suivre des cours et mener des recherches avec cette équipe. Et donc cela veut dire qu’il faut valider le double de crédits car il faut valider pour les deux universités, tu ne fais quand même pas deux thèses car tu travailles sur un seul sujet mais tu fais quand même plusieurs choses en double.
- Et donc tu as aussi le co-encadrement et là le principe c’est que tu es rattaché à une seule université mais tu as un co-encadrant donc là dans ma situation Francois Desmeules, mais je n’aurai pas deux diplômes, j’aurai que le doctorat de l’université de Paris. Cependant, lui est au même niveau que ma directive de thèse pour me conseiller, pour orienter mes recherches. Par exemple, pour la revue systématique, le premier article que j’ai publié [1], mon dernier auteur, c’est-à-dire celui qui dirige la recherche c’était François Desmeules et dans la prochaine étude que je suis en train de faire ça sera ma directrice française donc il y a une alternance entre les deux.
Ce qui fait donc qu’il y a des avantages car ils peuvent se conseiller selon les compétences de chacun, après le désavantage c’est qu’il faut coordonner les deux directeurs, gérer les désaccords qu’il peut y avoir, donc cela demande potentiellement plus de travail pour le doctorant. Cette formule en revanche n’oblige pas d’aller dans l’université du co-encadrant même si moi dans mon cas j’ai pu aller au Canada sur invitation de François Desmeules en janvier dernier par exemple.
[1] A. Demont, A. Bourmaud, A. Kechichian, et F. Desmeules, « Direct access physiotherapy for patients with musculoskeletal disorders: a systematic review », European Journal of Public Health, vol. 29, nᵒ Supplement_4, p. ckz186.335, nov. 2019, doi: 10.1093/eurpub/ckz186.335.
Donc je suis en mi-temps en thèse, en mi-temps au cabinet en libéral et après j’ai de temps en temps une journée d’enseignement à l’université d’Orléans pour l’école de kinésithérapie universitaire. La difficulté, qui n’en est pas obligatoirement une, est de se demander « Est-ce que le doctorat que je fais est financé totalement ? ».
Cela rejoint ce que je disais avant concernant les deux modalités de réalisation d’une thèse, car si tu intègres une équipe de recherche qui a déjà un financement tu auras un financement à l’année donc tu peux arrêter ton activité.
Par contre, si comme moi tu choisis un sujet qui comme l’accès direct n’a aucun financement particulier, de fonds de recherche par exemple, car personne ne travaille dessus, il faut trouver des fonds de recherche non pas pour mener des études mais pour payer le temps que je dégage pour pouvoir travailler sur le doctorat. Dans mon cas, les financements que j’ai trouvés ne me permettaient pas d’avoir une diminution complète et un arrêt complet de mon activité libérale donc c’est pour ça que j’ai essayé de trouver une organisation qui me permette de travailler correctement sur la thèse. Je fais donc au minimum un mi-temps et en parallèle d’un point de vue financier mais aussi parce que je voulais continuer de travailler avec des patients j’ai continué en libéral.
Concernant l’activité d’enseignement, j’ai aussi voulu la garder car d’un point de vue expérience et donc pour mon CV pour après le doctorat, le fait d’avoir beaucoup d’heures d’enseignement c’est une plus-value. En fait, quand on a terminé un doctorat soit on candidate pour un post-doc (NDLR : explication plus loin dans l’article), soit on candidate pour une activité d’enseignant-chercheur, si on veut faire de l’enseignement par exemple, donc c’est valorisé d’avoir fait beaucoup d’heures d’enseignements en parallèle d’une activité de recherche. J’ai donc voulu garder ces cours à l’Université d’Orléans car je voulais continuer de travailler avec les étudiants.
Je sais que les règles font que c’est mieux de faire un post-doc pour après candidater en tant qu’enseignant-chercheur. En fait le post-doc permet de continuer à travailler en tant que chercheur dans une équipe donc de pouvoir continuer à publier, ce qui renforce la qualité de ton dossier quand tu vas postuler pour un poste d’enseignant-chercheur. En général ça dure 1 an et c’est financé de la même manière, donc à partir de septembre je vais commencer à regarder les possibilités. Et ensuite j’aimerais postuler à la section 91 qui vient d’être créée (NDLR : la « section 91 » fait référence à la section de Collège National des Université (CNU) science de la rééducation et de la réadaptions correspondant à la section dans laquelle les chercheurs travaillant sur ces thématiques doivent postuler pour être qualifié dans ce domaine et donc par la suite postuler sur des postes d’enseignant-chercheur à l’université) et donc qui offre la possibilité aux universités de se dire que s’il y a un projet qui vaut vraiment le coup de justifier la création d’un poste d’enseignant-chercheur ou de réaffecter un poste d’un enseignant-chercheur qui part à la retraite aux sciences de la rééducation et de la réadaptation, ça m’intéresserait bien aussi.
Mais par contre je veux absolument garder une activité clinique car je trouve ça indispensable pour être cohérent sur l’enseignant dans un domaine clinique ou pour faire de la recherche clinique donc je voudrais avoir l’opportunité de garder une journée au minimum en parallèle de l’enseignement et de la recherche. Ça je sais que ça peut se négocier avec certaines universités qui acceptent de maintenir une activé alors soit en libéral en dehors des heures d’enseignant-chercheur, ou comme les médecins ou les pharmaciens par exemple d’avoir une activité salariée à l‘hôpital parallèlement à l’activé d’enseignant-chercheur.
Dans mon cas par exemple l’Université Paris Diderot est rattaché à l’hôpital Lariboisière et donc ça m’intéressait dans la continuité de ce que je fais en thèse de développer de nouveaux modèles de soins, avec par exemple des kinésithérapeutes en pratique avancée donc des kinésithérapeutes avec des compétences supplémentaires, plutôt des compétences médicales pour décharger les médecins, ce qui me permettrait de continuer dans la santé publique.
Non, car je me suis dit qu’il y avait trois possibilités pour influencer les politiques publiques. Soit tu es partie prenante au niveau des corps professionnels donc syndicats ou Ordre mais le problème c’est que les kinésithérapeutes sont assez étouffés par rapport à d’autres professions particulièrement médicale et même si je trouve que c’est très bien d‘avoir ce type d’activité, ce type de lobby auprès du gouvernement et du parlement pour essayer d’influencer les décisions, c’est pas forcément les valeurs que j’ai directement, du moins pas tout de suite.
La deuxième possibilité c’était comme mon projet initial donc d’intégrer une institution sanitaire donc par exemple une ARS ou la Direction Générale de l’Offre des Soins, ce qu’ont fait plusieurs personnes de ma promotion. Mais j’avais l’impression de plus devenir un technicien et de pas vraiment décider de projet à mener de plus grande envergure.
Donc je me suis dit, troisième possibilité, la recherche qui influence aussi les politiques publiques car le fait d’avancer des données ça renforce l’intérêt de modifier une politique publique. Cela fait que beaucoup d’enseignants-chercheurs ont une influence importante sur la manière dont les politiques sont menées au travers de multiples Conseils qui sont créés par le gouvernement.
On peut donc dire que c’est aussi un moyen, surtout en santé publique, ce n’est pas comme en recherche fondamentale ou en recherche clinique, car je ne pense pas que ce soit la validation scientifique de la thérapie manuelle qui va changer la kinésithérapie en tant que telle, donc c’est là que la discipline de santé publique répond vraiment aux politiques publiques dans le sens où les politiques s’alimentent des données scientifiques dans ce domaine-là. C’est pour ça que ça pourra quand même me permettre d’œuvrer à ce qui me tient à cœur c’est-à-dire améliorer la position du kinésithérapeute dans le parcours de soins.